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Remise en cause fondamentale ou épisode passager: La fin des G-7 et G-20?

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Image credit: Jesco Denzel/Associated Press

POLICY PERSPECTIVE

by Ferry de Kerckhove
CGAI Fellow
April 2020

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Table of Contents


Introduction

Le monde bien-pensant, pour se rassurer sur l’avenir, pointe du doigt le locataire de la Maison Blanche pour tout expliquer : l’effondrement de l’ordre international, le délitement général du consensus occidental, le basculement du monde atlantique au profit du monde pacifique, l’affaissement du capitalisme et de la libre entreprise à l’avantage d’une pseudo-économie de marché politiquement dirigée, la déliquescence de la démocratie battue en brèche non seulement dans les pays fragilisés du soi-disant tiers monde, mais aussi dans l’espace confortable des régimes illibéraux d’Europe de l’Est. Ce serait si facile d’avoir identifié un coupable qu’il suffirait de remplacer pour que dans huit mois, un nouveau Président américain soit élu et que tout reviendra comme avant…

Caricature ou image d’Épinal, la réalité est toute autre. De fait nous assistons à un transfert irréversible du centre de gravité du monde de l’Atlantique au Pacifique, une transformation fondamentale des rapports de forces, l’avènement d’un monde tripolaire où la Chine prend l’avant plan face aux États-Unis avec ou sans Trump, mais où la Russie va devoir poser des choix existentiels pour son avenir et définir son essence profonde, européenne ou eurasienne, à supposer que l’on sache ce que ce dernier mot veut dire. L’Europe, brutalement secouée par le Brexit et délégitimée par les illibéralismes qu’elle a enfantés, fait face à une alternative : s’unir de façon intégrale et presque intégriste, ou éclater en morceaux que d’autres, à l’Est, s’empresseront de ramasser…

Comment en est-on arrivé à cette vision d’apocalypse alors que depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, sous l’égide de la puissance impériale américaine, non seulement un système robuste d’institutions multilatérales s’est créé avec l’Organisation des Nations Unies et les institutions économiques de Bretton Woods, mais, au fil des crises inévitables dans un système international instable en raison de la guerre froide et de la décolonisation, d’autres institutions se sont ajoutées pour surmonter de nouvelles crises?  À l’apex du plurilatéralisme – par opposition au multilatéralisme – les G-6/7/8 et G-20 devenaient le rempart, le mur de Chine de l’Occident… Vraiment?

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Les sommets des G-7/8

C’est dans le château de la petite ville de Rambouillet, aux environs de Paris, qu’en 1975 se tient le premier G-6 formel. Au départ, toutefois, des consultations informelles à cinq – États-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne et Japon – avaient eu lieu à Washington, dans la bibliothèque de la Maison Blanche pour chercher des remèdes aux deux crises frappant simultanément l’économie mondiale, d’abord la crise monétaire avec la question du flottement des monnaies et les impacts de la forte augmentation des prix du pétrole en 1973-74 suite à la guerre de Yom Kippour.  L’impact sur les marchés fut beaucoup plus psychologique que concret dans la mesure où la réforme monétaire consacra davantage la position américaine plutôt que de constituer un compromis. En revanche, le fait que les 5 convinrent d’aligner leurs politiques économiques et d’éviter une guerre commerciale avec les pays producteurs de pétrole accrédita l’utilité du Sommet et du concept qui le sous-tendait.1

C’est ainsi que ce mécanisme plurilatéral, initialement à caractère strictement économique, s’instaura dans la mécanique du système international capitaliste libéral. Nicholas Bayne, qui fut associé aux sommets pendant 17 ans pour la Grande-Bretagne, offre une évaluation de tous les sommets jusqu’à 1999 sous forme de notes alphanumériques avec les initiatives principales justifiant l’évaluation.2

1975 Rambouillet Réforme monétaire   A-
1976 Porto Rico Rien de significatif D
1977 Londres I Commerce, croissance, énergie nucléaire B-
1978 Bonn I Croissance, énergie, commerce A
1979 Tokyo I Énergie B+
1980 Venise I Afghanistan, énergie C +
1981 Réunion quadrilatérale des ministres du Commerce (Ottawa) C
1982 Versailles Commerce Est-Ouest, surveillance C
1983 Williamsburg Euromissiles B
1984 Londres II Dette C
1985 Bonn II Rien de significatif E
1986 Tokyo II Terrorisme, Surveillance, Ministres des finances G7 B+
1987 Venise II Rien de significatif D
1988 Toronto Allègement de la dette des plus pauvres C-
1989 Paris Aide à l’Europe de l’est, Environnement, dette B+
1990 Houston Commerce -peu de progrès D
1991 Londres III Aide à l’URSS B–
1992 Munich Rien de significatif D
1993 Tokyo III Commerce international C+
1994 Naples Annonce Russie dans le P8 C
1995 Halifax Révision institutionnelle, Réforme FMI et ONU B+
1996 Lyon Dette et développement B
1997 Denver Participation russe et Afrique C-
1998 Birmingham Nouveau format, crime, dette, finance B+
1999 Cologne Dette, Kosovo, Annonce G-20 Ministres Finance B+

S’il s’agissait de notes d’études universitaires, peu continueraient leurs études! Évidemment, l’aspect le plus intéressant de cet historique, c’est l’évolution des sommets à partir du Sommet de Williamsburg de 1983 vers les questions politiques, parfois au détriment des questions économiques prises en compte.  Mais c’est également le reflet du besoin impérieux de leadership sur des questions fondamentales comme la crise des euromissiles, ou la question de la dépendance de l’Europe envers le gaz soviétique, question bien plus politique qu’économique, le G-7 définissant les balises des transformations géopolitiques, comme après l’effondrement de l’URSS.

Sur ce plan, le changement le plus profond a définitivement été l’admission de la Russie dans ce qui s’est appelé le G-8 politique, distinct des questions économiques, les 7 pensant naïvement que cette admission ferait « avaler la couleuvre » de l’élargissement de l’OTAN vers l’Est à la Russie. Mais même si elle était initialement exclue du dialogue économique, l’entrée de la Russie a dénaturé partiellement l’essence du G-7 au moment où lui-même commençait à se disperser. Comme l’écrit le professeur W.P.S. Sidhu:

La décision …, en 1997, d’étendre le G-7 à une Russie économiquement et politiquement exsangue était contraire à deux des principes fondamentaux du groupe. Premièrement, la Russie (avec une économie plus petite que celle de la Chine et même de l’Inde) ne figurait même pas parmi les 10 premières économies lorsqu’elle a été admise et, deuxièmement, ses références démocratiques étaient faibles. Ainsi, l’élargissement au G-8 a été principalement tiré par la géopolitique plutôt que par la géoéconomie et a contribué à affaiblir son objectif commun.3

Toutefois, initialement, certains dossiers économiques ont néanmoins progressé, dont la Ronde de Tokyo pour ce qui est des négociations commerciales internationales, mais l’impulsion sur ce plan s’est estompée par la suite pour en arriver de nos jours au blocage total de la Ronde de Doha. Le dossier énergétique a connu sa seconde heure de gloire avec la seconde crise pétrolière suite au renversement du Shah d’Iran en 1979 et la baisse de production pétrolière. Les relations avec les pays en développement sont devenues un thème majeur avec l’apparition de ribambelles de chefs d’États du Sud, paradant pour quelques heures d’attention, suscitant parfois des choix difficiles.4 L’environnement prit une place importante à partir de la CNUED (Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement) ou Sommet de la Terre de 1992 mais il y eut aussi des ratés du côté américain, notamment au sommet de Denver en 1997. Une des contributions majeures du Sommet a été le lancement de l’aide aux pays d’Europe de l’Est, dont l’exécution a été par la suite confiée à la Commission européenne, et la création en 1991 de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.5

Mais le G-7 s’est progressivement cherché ou attribué de nouvelles responsabilités au point de produire ce que l’on pourrait appeler des « communiqués-répertoires » de tous les problèmes ou enjeux de la planète sans pour autant dégager de véritables consensus au niveau des mesures à prendre. Par exemple, la liste suivante des thèmes relevés par le communiqué du Sommet de Biarritz de 2019 laisse songeur quant aux résultats subséquents : Infrastructure digitale; démocratie; intelligence artificielle; femmes – égalité et finances; pays en voie de développement – inclusion et genre; paix et stabilité; Sahel; ODD; entrepreneuriat Afrique; ONG et la ronde de Doha; OMC Doha; universalité de l’assurance médicale;6 biodiversité; marchés publics; éducation de base…

C’est à partir de 2000 que cette « laundry list » – liste interminable, s’est généralisée, avec l’insertion d’ONG et parfois l’ajout de leaders d’autres pays. 2001 à Gênes a été le lancement de la coopération pour lutter contre le VIH-SIDA mais aussi la scène de manifestations épouvantables et même mortelles.  Mais le sommet de 2002 à Kananaskis en a profité, forçant l’isolement complet des participants, sur une durée plus courte, sans communiqué mais avec un résumé de la présidence, et quelques invités africains de marque. La ronde de Doha fut lancée tandis que le terrorisme, évidemment évoqué, avait déjà suscité différents groupes de travail. C’est d’ailleurs sur ce plan que les G-7 ont eu une influence réelle, à savoir la création de groupes d’experts internationaux approfondissant les questions à l’étude. Le revers de cette médaille a été une bureaucratisation de tout l’appareil consultatif, menant à des textes prénégociés, préétablis sur la base du plus petit commun dénominateur.

Evian 2003 consacra la réconciliation sur l’Irak entre les Américains et les Français, suite au véto français à l’ONU à la demande américaine d’une action militaire contre l’Iraq, tandis que 2004 remit à l’ordre du jour le processus de paix au Moyen Orient, mais sans réelle avancée. Le Sommet de 2005 à Gleneagles a été marqué par les attentats terroristes de Londres mais aussi par les premiers engagements réels pour la lutte contre le changement climatique. Le Sommet de St. Pétersbourg, de 2006, a non seulement été un succès sur le plan des thèmes énergie, santé, éducation, et a contribué à résoudre la crise qui sévissait au Liban, mais il a aussi donné l’impression d’un renforcement de la démocratie en Russie. Comme quoi les mythes se créent quand on veut y croire.

Les deux sommets suivants ont mis l’accent sur la croissance ainsi que sur l’Iran. En revanche, le sommet de L’Aquila de 2009 a été le symbole de l’abdication du G-7 au profit du G-20 naissant en raison de la crise économique majeure ébranlant l’ensemble de la planète. L’impuissance du G-7 s’est révélée non seulement parce que l’origine de la crise était essentiellement le fait de Etats-Unis mais aussi parce que les autres membres du groupe ont failli à leurs obligations.

En effet, la récession s’est aggravée faute de relance des investissements et de la demande de la part des pays bénéficiant traditionnellement d’un surplus comme l’Allemagne et le Japon, sans oublier le refus des États-Unis de stimuler l’épargne tout en finançant les investissements à long terme à l’étranger avec des bons du Trésor américain à court terme et taux faible. De fait, la Chine, avec son surplus commercial, devenait la source première d’investissement. D’ailleurs, on oublie souvent que la Chine a été le pays qui a le plus souffert de la crise de 2008.

Comme l’explique von Furstenberg à propos des engagements du Sommet de 2009, le nombre d’engagements vides de contenus sont beaucoup plus nombreux que les quelques engagements suffisamment concrets, notamment pour la « reprise verte », qui permettraient d’accorder au Sommet une note positive.7 On se rappellera du Sommet de Muskoka, en 2010, comme le point de départ d’une initiative majeure du Premier ministre Harper sur les soins de la mère et de l’enfant, malheureusement entachée par des limitations aux services de santé génésiques.

À part la décision d’éjecter la Russie du Sommet en 2014 suite à la prise de la Crimée par celle-ci, les autres sommets du G-7 ont surtout été marqués par une transition américaine pénible mais, de façon plus délétère, d’une certaine absence ou apparence d’absence – ce qui revient presqu’au même – de leadership d’Obama, suivie de la bombe Trump.

Le bouleversement provoqué par la Russie allait saper beaucoup d’énergie dans la mouvance du G-7 sans compter que la lutte contre Daesh allait exiger une coalition à laquelle les 7 membres du G-7 apporteraient une contribution à la carte mais en dehors du cadre lui-même. De même, la négociation de l’accord nucléaire avec l’Iran allait unir les G-7 mais elle se tiendrait aussi avec des joueurs qui lui étaient hostiles ou indifférents comme la Russie et la Chine.

Le débat sur la pertinence du G-7 durera jusqu’au jour où il mettra lui-même fin à ses jours. On peut contraster l’optimisme d’un John Kirton, le directeur mondialement connu du Centre d’information sur le G-7 du Centre Munk à Toronto et la perspective négative de spécialistes comme Andrew Cooper. Ce dernier s’étonne même que le G-7 ait survécu à la création du G-20.8

Serait-ce que les anciens grands veuillent continuer à se parler loin des puissances montantes ? ou encore, en dépit du personnage « trumpien », le G-7 représente-t-il le bastion vieillissant, voire, rétrécissant des démocraties occidentales?

Mais Trump, au Sommet de la Malbaie en 2018, a confirmé l’érosion d’une certaine forme de coopération multilatérale, une connivence d’esprit, même quand les différends étaient graves. Il faut bien reconnaître qu’en dehors de crises majeures forçant un consensus comme en 1975, en 1979 ou même en 1998 avec la crise asiatique, il n’a pas fallu attendre Trump pour que le G7 démontre sa difficulté à faire preuve de leadership et de dégager une unanimité sur des questions fondamentales comme la réduction de l’empreinte carbone. On se rappelle également la double incurie du G-7 et de l’Union européenne face à la crise financière grecque.  

Même depuis l’éjection de la Russie en 2014, le G-7 est resté plus politique que jamais, ayant cédé toute autorité économique et commerciale réelle au G-20. D’ailleurs, le Sherpa canadien du Sommet de 2019 à La Malbaie l’a clairement défini : « le G7 est utile, et même nécessaire, à un moment clé de l’histoire mondiale, alors que des valeurs et un travail communs sont plus essentiels que jamais pour renforcer la démocratie libérale et sauver un ordre international fondé sur des règles. »9 C’est une jolie phrase mais pour l’instant, si c’est là la destinée du G-7, il a plutôt failli à la tâche!

Évidemment, comme le suggère John Kirton, « une question cruciale se pose quant à la mesure dans laquelle une mondialisation accrue et une multipolarité plus marquée a affecté le rendement du G-8 dans les dernières années. » 10 C’est clair que le G-20 n’aurait pas vu le jour au niveau des leaders du monde sans la crise de 2008. Mais c’est aussi un aveu d’impuissance du G-7/G-8 face à la crise économique la plus retentissante depuis la grande dépression des années 1920.

Le besoin d’adaptation du cadre de gestion planétaire est dans la logique des choses. Ainsi, la perte d’influence dans le monde des Nations Unies vient en partie de ce que sa vision universaliste est en grande partie galvaudée au plan politique, à cause de son incapacité à réformer ses structures organisationnelles : la répartition de ses régions géographiques tout comme la composition du Conseil de Sécurité ne reflète absolument plus les changements profonds de l’ordre international. En revanche, les instances ad hoc comme les G-7,8,20 ne se transforment qu’au gré de crises majeures bien qu’elles aussi s’efforcent de survivre. Léthargie, habitudes, conformismes, crainte de l’inconnu, confort de l’existant par rapport à l’incertitude de créations nouvelles ? La roue finit par tourner.  

Kirton s’interroge d’ailleurs sur la relation entre G-8 et G-20, constate que :

le G8, lors de son Sommet de L’Aquila en 2009, agit explicitement en référence aux travaux du sommet du G20, offrant à la fois un soutien de leadership et de suivi. Le G20, en revanche, lors de ses trois premiers sommets, a largement ignoré ce que le G8 a fait. La connexion et la coopération explicites sont donc une voie à sens unique.11

Mais lui non plus ne peut se résoudre à déclarer le G-8 obsolète :

Le statut du G8 en tant que grand connecteur de la gouvernance mondiale est renforcé par sa capacité au moins résiduelle de couvrir et de combiner toutes les questions de gouvernance mondiale, par rapport au G20, qui se limite aux seules questions économiques, avec seulement une incursion limitée dans le changement climatique. Ces résultats suggèrent que, quelles que soient les allégations d’efficacité relative, de représentativité et de légitimité, il est beaucoup trop tôt pour dire au revoir au G8.12

Compte tenu de la situation de la gouvernance mondiale et du délitement du multilatéralisme à l’heure actuelle, on peut pardonner à Kirton son amour pour sa « maîtresse, » mais il est grand temps qu’il fasse preuve de plus de réalisme. Il ne s’agit pas de critiquer pour le plaisir une institution qui, en son temps, a bien servi l’ordre multilatéral. Mais force est de constater qu’elle n’est plus représentative de cet ordre comme elle l’était lors de sa fondation. Elle n’est certainement pas représentative du nouvel ordre économique mondial, comme la preuve en a été tristement faite en 2008.

Même les priorités – très nobles – que le Premier ministre Trudeau avait mis de l’avant au Sommet de La Malbaie ne représentaient souvent que les priorités d’une minorité de pays, nonobstant les grandes déclarations onusiennes sur les objectifs de développement durables. La crise provoquée par Trump a également démontré que même pour l’administration américaine, les priorités canadiennes étaient marginales à ses yeux. En outre, pour une organisation qui avait abandonné son mandat économique au profit du G-20, ses prises de position sur le monde politique en évolution étaient plutôt timorées. Enfin, le semblant d’unité entre les 7 a été clairement discrédité par le président des États-Unis. Quand vous avez un membre de l’administration américaine qui déclare qu’il y a « une place en enfer » pour le Premier ministre du Canada, il est difficile de croire à un consensus d’esprit, encore moins sur les sujets débattus.

Bref, le G-7 est un Club désuet, où les membres se réunissent chaque année plus par habitude et surtout par crainte d’en être exclus que par une véritable capacité d’action.

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Le G-20

Alors que le G-7 est né d’une crise économique essentiellement occidentale, le G-20 a été initialement amorcé par les ministres des Finances en 1999 des pays les plus industrialisés, chargés de coordonner la gouvernance de l’économie mondiale pour assurer une plus grande stabilité des marchés dans une perspective de croissance. Le G20 s’est réuni pour la première fois au niveau des chefs d’État et de gouvernement à Washington, D.C., le 15 novembre 2008, au milieu de la crise financière la plus grave depuis la Grande Dépression des années 1930. Le contraste entre les deux groupes tient tant à leur représentativité qu’à leur importance économique.  Ainsi, ajusté en fonction du pouvoir d’achat, en 2013, le G-7 était responsable d’un tiers de la production économique mondiale, tandis que tous les États du G20, en représentaient 82%.

Les pays membres sont les mêmes que ceux de 1999 – qui se sont auto-choisis – si ce n’est que d’une réunion à l’autre, quelques pays additionnels sont invités en fonction soit d’une crise particulière qui les affecte soit d’une contribution spécifique qu’ils peuvent apporter aux discussions... ou encore pour calmer leur rancœur de ne pas faire partie du groupe, comme dans le cas de l’Espagne. Les membres sont l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni, la Russie, la Turquie, et l’Union européenne. On note évidemment que les membres du G-7 y sont tous, ce qui ne fait que reposer la question du double emploi si ce n’est que le G-20, en principe, ne touche qu’aux questions économiques et financières.

Cela dit, cette césure ne tient pas vraiment la route étant donné la politisation extrême des questions économiques, notamment commerciales comme le démontre le « jeu » actuel entre les États-Unis et la Chine sur l’imposition de tarifs à l’importation, dialogue qui, d’ailleurs, se tient en dehors des instances plurilatérales. De même, le TPP ou partenariat transpacifique a perdu son moteur principal dès lors que Washington est sorti du jeu à cause de l’interprétation que donnait Donald Trump du « Make America Great Again » par rejet des accords ou ententes multilatérales au profit du bilatéralisme, choix autant sinon plus politique qu’économique.

Soyons clairs : Compte tenu de la situation de l’économie mondiale en 2008, crise essentiellement créée par les États-Unis, le G-20 faisait face au plus grand défi de sa jeune existence ... peut-être jusqu’à ces jours de la COVID-19. Les enjeux étaient considérables et ont terni à jamais la réputation du capitalisme auprès d’un nombre considérable de pays. La crise a laissé les perdants dans une situation critique, ce qui a eu un impact majeur au plan politique.

Au point de départ, il y a eu la crise financière de Wall Street mettant en exergue le déséquilibre majeur entre la haute finance débridée et sans scrupules, dont Bernie Madoff n’était qu’un exemple, plus crapuleux sans doute, et l’économie réelle, puis l’immense déficit du compte courant américain au profit des pays exportateurs asiatiques ou de pétrole, et enfin, une économie mondiale essentiellement tributaire de l’exploitation des ressources naturelles.13 C’est aussi la période du fameux « un pour cent » de Wall Street et la croissance vertigineuse des inégalités de richesse. Et l’univers commercial non seulement tournait en faveur des exportations de Chine, mais celle-ci achetait des bons du Trésor américain et prêtait des fonds à l’Occident pour permettre à celui-ci d’importer davantage. L’argent était bon marché et la bourse s’envolait dans l’irréalité. La Russie, et surtout la Chine, ont tourné le dos à l’Occident à partir de ce moment-là car de profiteurs majeurs du système, elles en sont devenues les plus grandes victimes.

Toute évaluation des sommets, quels qu’ils soient, se ramène toujours à un exercice entre optimisme et pessimisme, entre le verre à moitié plein ou à moitié vide ! John Kirton tend à donner constamment une évaluation positive des G-20, même s’il reconnait que chacun d’entre eux donne lieu à une gamme entière d’interprétations. Peut-être est-ce dû à l’extrême divergence de vues, voire de cultures, d’expériences et d’ambitions au départ entre les membres du G-20, phénomène qui marquait déjà le G-7 mais dans une moindre mesure.

Le miracle arrive quand, de temps en temps, ce n’est pas le plus petit commun dénominateur qui est le résultat ultime. Dans ce sens, le G-20 est plus intrusif quant aux politiques économiques ou la lutte contre le protectionnisme que les instances multilatérales traditionnelles. Ainsi, le Sommet de Séoul de 2010, un après le plus fort de la crise, semble en avoir

fait assez pour réussir à élaborer un cadre de croissance forte, durable et équilibrée, de contenir les déséquilibres des comptes courants et d’éviter une guerre monétaire éventuelle, de respecter les échéances fixées pour la réforme financière nationale et internationale et faire pression pour la conclusion du cycle de Doha pour le développement et la libéralisation des échanges en 2011. Il a fait peu d’avancées — mais au moins n’a pas empiré les choses — sur le développement, le changement climatique et l’énergie, l’alimentation et l’agriculture, et la lutte contre la corruption. Conjuguées aux mesures visant à renforcer institutionnellement la gouvernance du G20, ces réalisations politiques ont suffi à maintenir l’élan de la coopération et de l’institutionnalisation du G20.14

Par la suite, le G20 a dû accorder une attention toute particulière à la crise européenne, notamment l’endettement catastrophique de la Grèce. Los Cabos en 2012 allait se faire remarquer par son incapacité à forcer une réduction des subventions à la production d’énergie fossile. Le dossier environnemental a du mal à progresser. Les questions politiques allaient reprendre le dessus par la suite avec la crise syrienne et les séquelles du printemps arabe. En revanche, à cause de la crise syrienne, le Sommet de St. Pétersbourg, dans un sens, allait démontrer que le G-7 se faisait largement évincer même s’il continuait à se réunir. Comme l’exprime fort bien Kirton

Les dirigeants ont montré que le sommet du G20, initialement conçu comme une institution économique, était désormais un véritable centre de gouvernance mondiale, capable et disposé à faire face non seulement aux nouvelles menaces à la sécurité telles que la corruption et le terrorisme, mais aussi à des menaces plus classiques comme l’utilisation d’armes chimiques par un gouvernement contre son propre peuple. 15

Brisbane 2014 allait devenir plus politique que jamais avec la prise de la Crimée, la crise de l’Ebola et surtout l’avènement de Daesh sur la planète mais le communiqué final fit l’impasse sur tout ce qui n’était pas économique. Faut-il voir une corrélation entre la politique de l’autruche et le fait que le sommet se soit tenu en Australie ? Encore une preuve que le système plurilatéral était instable ou facilement déstabilisé au même moment où l’ONU entamait sa période noire post-intervention en Libye alors que le véto conjoint russe et chinois au Conseil de Sécurité allait mettre fin à tout espoir de résolution en matière d’opérations de paix en dehors de l’Afrique.

Le Sommet suivant, à Antalya, en 2015, ramènerait le terrorisme au cœur des débats tant à cause des attaques de novembre à Paris, que le flux des réfugiés syriens et l’explosion de l’avion de ligne russe en Égypte, mais le monde des organisations internationales demeura essentiellement absent dans la lutte contre le terrorisme, notamment aux Nations Unies à quelques résolutions près. La coalition internationale de 82 pays contre Daesh animée par les États-Unis ramenait le monde à des modalités de substitut au véritable multilatéralisme.

En revanche, le Sommet de Hangzhou, en 2016, montre la montée en puissance irrésistible de la Chine de Xi Jinping, le communiqué final établissant « le G-20 comme le forum par excellence de la coopération économique internationale, offrant une vision globale et intégrée pour une croissance forte, durable, équilibrée et inclusive. »16

Les sommets suivants sont marqués d’une diversification ainsi que d’une multiplication des sujets (comme on l’a vu pour le G-7 de Biarritz). Ainsi, l’ordre du jour du G20 intègre désormais des questions telles que le changement climatique et le développement durable, l’autonomisation des femmes, la numérisation et l’avenir du travail.

Mais les sommets récents ont également été affectés par le phénomène Trump dont l’imprévisibilité s’ajoute à la fascination qu’il exerce au point que celle-ci transcende tout autre intérêt. Hambourg en 2017 est très marqué par la menace nucléaire nord-coréenne. On y parle de l’entrepreneuriat pour les femmes grâce à un fond d’un milliard de dollars de la Banque mondiale. La santé mondiale est à l’honneur ainsi que l’économie numérique.

Mais c’est l’évolution du leadership du G-20 qui est le plus frappant, voire, le plus inquiétant. Comme l’écrit admirablement Tristan Naylor :

Sur la photo de cette année: Donald Trump, Mohammad bin Salman, Vladimir Poutine, Xi Jinping, Recep Tayyip Erdogan et Paul Kagame. C’est une image qui capture le moment international de l’heure — un moment où les puissants se rassemblent pour protéger et faire avancer leurs intérêts propres, mais parmi eux, il y a de moins en moins de champions du libéralisme, de ses libertés, et du rempart de la démocratie. Il s’agit d’un instantané d’un ordre mondial de plus en plus illibéral17

Une des victimes de cette évolution a été l’aide extérieure pas seulement du point de vue quantitatif mais au niveau des attitudes. Comme l’écrit Wolfgang Sachs

 … avec la montée du populisme national, la notion du développement ne joue plus un rôle inspirant et porteur d’avenir, comme elle le faisait à l’époque de la décolonisation et même au moment de la déréglementation des marchés mondiaux. Les Trump, Bolsonaro, Erdogan et Modi de ce monde croient encore au développement, dans la mesure où cela signifie de grands projets, le pouvoir d’achat de masse et des opérations non réglementées pour les entreprises. 18

En fait, même aujourd’hui, il y a une confusion presque systémique sur le rôle du G-20 puisque l’effacement du G-7 ou la désillusion quant à sa capacité de changer l’économie mondiale, notamment au point de vue d’une plus grande égalité entre riches et pauvres, a entraîné un déplacement des espoirs vers la nouvelle organisation. Nombreux étaient ceux qui, même si les membres du G-20 représentaient des horizons et des idéologies différentes, espéraient que le groupe s’attaquerait aux problèmes structurels de l’économie mondiale comme, par exemple, le changement climatique, qui fut éventuellement traité dans une enceinte différente aboutissant au traité de Paris.

Avec une certaine naïveté, certains voyaient dans le passage du G-7 au G-20 une possibilité de réduire les inégalités « causées » par la mondialisation, l’image d’un pays comme la Chine tirant des centaines de millions de gens de la pauvreté offrant un certain espoir. À cela s’ajoutait une mouvance populiste allant à l’encontre du multilatéralisme. À cet égard, Berger, Cooper et Grimm posent une question importante :

Les structures existantes de gouvernance mondiale, notamment l’ONU ou l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sont en discussions approfondies sur une réforme qui les rendraient plus efficaces et plus efficaces, tout en reflétant mieux les structures actuelles du pouvoir. Dès lors, les concertations au sein du G20 aident-elles à faciliter les ajustements mondiaux ou créent-elles plutôt ils des diversions dont la valeur ajoutée, insuffisante, nuit aux structures existantes? 19

Le simple fait de poser cette question illustre une certaine perte de confiance dans l’institution du G-20 mais, tout autant, des autres institutions multilatérales dès lors que leur fragilité est invoquée pour expliquer le rôle délétère possible d’institutions concurrentielles.

Il existe une grande fluidité de nos jours dans le monde des organisations internationales. D’aucuns soutiennent d’ailleurs à juste titre que bon nombre de pays d’une certaine importance, comme le Brésil ou la Russie, capables d’avoir une influence conséquente sur l’équilibre international, dans son sens large, tout en protégeant leurs intérêts dans les organisations établies comme le G20, n’hésitent pas à s’organiser en regroupements distincts, plus informels et moins définis, comme les BRICS, pour pouvoir exercer une plus grande pression sur des questions qu’ils jugent vitales.20 Cela leur donne suffisamment de profondeur pour pouvoir interdire ou empêcher ce qui ne leur plait pas dans l’organe de base comme le G-20, dans une forme de chantage.

Ainsi, pendant tout un temps, l’Organisation de de Coopération de Shanghai était passé sous le radar, mais aujourd’hui elle prend une importance croissante et elle déterminera l’avenir de l’Asie centrale dont les ressources naturelles attirent la convoitise. Plus globalement, la pression exercée par la Chine pour modifier les rapports de force dans les organisations de Bretton Woods commence à produire des dividendes, signe avant-coureur d’une profonde transformation de l’ordre multilatéral issu de la fin de la deuxième guerre mondiale. Le G-7 a beaucoup moins d’influence que le G-20 pour contrer ou gérer cette évolution. Seul le bastion américain peut encore tenir tête à condition que le leadership américain comprenne les enjeux et veuille intervenir.

Un des arguments en faveur du G-20, selon certains analystes, c’est précisément son éclectisme, l’absence de carcan institutionnel et surtout sa capacité à susciter des réseaux, coordonner d’autres formes de gouvernance, créer des réseaux transnationaux, même formuler des politiques à caractère transnational, mais Steven Slaughrer n’en conclut pas moins que « le rôle du G20 en tant que site d’élaboration des politiques mondiales qui favorise un ordre libéral est discutable. »21 Il suffit d’avoir vu l’embrassade entre Poutine et Mohammed Ben Salman au sommet de Buenos Aires dans les mois suivant l’assassinat to journaliste Khashoggi pour s’en convaincre.

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Conclusion

Les sommets du G-8 et du G-20 ont été à la fois les parrains de la mondialisation et de l’avènement d’un monde multipolaire mais les enfants ont dépassé les parents.

Pourtant, aujourd’hui, avec la montée en puissance du populisme et du nationalisme réducteur, avec le rejet de la mondialisation et le retranchement à la Brexit, la vraie question est celle de la fracture de la mondialisation, la rupture des alliances, le délitement de la coopération internationale, la vulnérabilité des démocraties, le vieillissement des autres organisations, comme l’OCDE en dépit de ses remarquables études, la politisation croissante des agences multilatérales, le rejet, bien légitime, de la domination américaine dans les organisations mondiales comme la Banque mondiale ou le FMI, et la création d’agences concurrentielles comme la Chine l’a fait avec la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures.

Il n’y a pas de stabilité à long terme dans le système international. En outre, le courant multilatéraliste subit un ressac souverainiste de la part des états membres et la concurrence interétatique est au cœur de l’échec de la Ronde de Doha à l’Organisation mondiale du Commerce.  Le Brexit est l’exemple par excellence d’une concurrence peut-être fatale entre une institution internationale ou du moins intra-européenne et un retour à une vision Westphalienne. D’ailleurs la crise de la COVID 19 sur ce plan est un exemple parfait de la faiblesse des institutions européennes à laquelle personne ne s’attendait.22

L’option privilégiée peut donc être vers des initiatives ad hoc, avec un sous-ensemble de pays appartenant au G20 et d’autres participants éventuels. Le signal d’un virage vers cette approche est venu avec la conception du président français Emmanuel Macron des « pays d’avant-garde » avec une inclusion sélective des pays prêts à s’engager à la carte.  Mais même son Deuxième Forum de Paris sur la Paix a attiré moins de leaders que la première bien que la teneur des échanges ait été remarquable…

Si l’on regarde l’évolution des institutions comme le G-8 et le G-20 du point de vue de l’évolution récente du système international, un fait incontestable émerge : le changement de la position des États-Unis sur l’échiquier mondial. Dans un sens, l’effritement progressif de la puissance américaine était dans l’ordre des choses. La surpuissance ne peut être éternelle dès lors que d’autres puissances n’ont de cesse que de contrer la puissance dominante et éventuellement la remplacer si possible et ainsi conquérir sinon l’espace physique, du moins l’espace idéologique, économique et social en limitant au maximum les entraves réelles ou perçues à son propre développement.

La crise de 2008, événement le plus important depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, bien qu’elle ait frappé de plein fouet la Chine, bien plus que les États-Unis, a eu un effet catalytique sur la détermination de la Chine de ne plus dépendre du système économique occidental. Elle avait l’avantage d’avoir développé son propre système sociopolitique basé sur un système autoritaire lui permettant une marche en avant incontestée. Mais là où les États-Unis ont manqué « le bâteau, » c’est à partir de 2001, en s’engageant dans des opérations extérieures sans issue et affaiblissant tant la fibre interne américaine que l’appui inconditionnel de ses alliés, l’adhésion générale des autres configurations géopolitiques de la planète, et le respect de ses opposants.

Au sein du G-7, les États-Unis étaient la puissance dominante, dictant ultimement les positions ou asservissant les opposants, en s’appuyant sur le système multilatéral qu’ils avaient créé. Mais la foi américaine dans le système multilatéral a commencé à se déliter avec l’administration de Bush junior, fait confirmé par l’engagement unilatéral en Irak (avec la Grande-Bretagne comme jeton de poker). Au niveau institutionnel, le G-7/8 a perdu son essence économique primordiale et sa politisation a permis à d’autres joueurs de contrer l’influence américaine. La crise de 2008 a débouté le G-7 au sein duquel les États-Unis restaient largement « primus inter PAS pares ». Le G-20 a fortement nivelé les pouvoirs de tous et chacun, permettant à la Chine de monter, légitimement, en puissance. Avec Donald Trump, le glissement s’est accéléré et les G-7 et G-20 ne sont qu’une occasion de plus pour le Président américain de se gargariser devant ses partenaires et la presse internationale sans se rendre compte que derrière son dos, les gens rient même s’ils sont inquiets de l’impulsivité ignorante de leur partenaire américain.

William Burns, l’ancien grand diplomate américain l’a très bien compris et mérite d’être longuement cité, car il confirme la crise de 2008 comme l’événement décisif du déclin américain: 

Ces derniers jours, j’ai passé en revue des commentaires passés sur le dernier choc mondial, la crise financière de 2008. Ils sont truffés de prédictions confiantes : l’Amérique consoliderait son leadership, la Chine resterait introvertie, l’Europe poursuivrait son unification, et les sociétés politiques et économiques fermées s’ouvriraient. En dépit des nombreux discours sur l’émergence d’un «axe de bouleversement»  à travers le monde en développement, les commentateurs n’ont pas réussi à prédire comment les mêmes vents de nationalisme, de xénophobie et d’anti-mondialisation frapperaient notre propre arrière-cour, ou comment nos rivaux transformeraient la crise américaine en leur opportunité stratégique. Rétrospectivement, la crise financière n’a pas tant introduit de nouvelles variables dans l’équation de la politique mondiale que l’intensification des tendances déjà en cours et la mise en évidence des vulnérabilités naissantes. Une « récession démocratique » a précédé la récession économique mondiale. La domination de l’Amérique s’estompait déjà… L’ordre libéral international devient de moins en moins libéral et ordonné. Après le plus grand choc économique depuis la Grande Dépression, la circulation des biens et des personnes au-delà des frontières deviendra moins libre. Un sentiment commun d’insécurité intensifiera la concurrence entre les grandes puissances, accélérera les troubles régionaux et aggravera les crises humanitaires dans certaines parties du monde déjà accablées de conflits et de réfugiés. Les nouvelles technologies consolideront le contrôle autoritaire et défieront la gouvernance démocratique. Les institutions internationales vont osciller et finiront par se fracturer à cause des rivalités entre grandes puissances ; leurs ressources s’amenuiseront, sapant les perspectives d’une réponse coordonnée à d’autres défis mondiaux imminents, dont le plus existentiel - le changement climatique.23

La crise de la COVID 19 aujourd’hui ajoute à la menace de l’effondrement de la coopération internationale et du multilatéralisme. Elle mérite une étude distincte mais il n’est pas inutile de citer un commentaire de Nathalie Tocci qui illustre bien le désarroi profond dans lequel est plongé le monde et pour lequel, pour l’instant, les institutions multilatérales et plurilatérales n’offrent que peu de réconfort :  

COVID 19, la maladie causée par le nouveau coronavirus qui s’est rapidement transformé en pandémie, pourrait être goutte d’eau proverbiale qui fait déborder le vase. L’ordre libéral international, ainsi que l’Union européenne en son sein, sont en difficulté depuis des années. Défiées de l’extérieur par des puissances illibérales comme la Chine et la Russie, autant que de l’intérieur par un Donald Trump ayant désavoué l’ordre international que son pays avait institué, les règles, les normes et les institutions qui régissent la société internationale depuis plus de soixante-dix ans ont commencé à dépérir. L’UE, pour sa part, a été secouée par la succession de crises tant migratoires que de la zone euro, tandis que les régions environnantes s’enfonçaient dans une spirale de conflit au point de s’effondrer. COVID 19 pourrait être le clou final dans le cercueil d’un ordre international fondé sur des règles ainsi que du projet européen qui en émane.24   

Plusieurs facteurs, évoqués par de nombreux participants au niveau chef d’État ou de gouvernement et répertoriés par bon nombre de grands mandarins responsables de leur préparation, ont été responsables du déclin d’influence des sommets. Au départ, comme l’exprime le sherpa britannique Nicholas Bayne, il y a une certaine évanescence des éléments qui en faisaient la caractéristique principale, à commencer par l’importance du groupe lors de sa création, les 7 pays représentant, ensemble, la puissance économique dominante dans le monde, ce qui leur permettait d’imposer leurs décisions – quand ils réalisaient eux-mêmes un consensus entre eux – à l’ensemble du monde, à une époque où le cadre institutionnel multilatéral faisait encore consensus, la seule alternative étant l’URSS dont le modèle économique commençait déjà à dépérir.25

Mais 15 années plus tard, cette domination s’estompait en partie avec la montée en puissance des pays à forte population comme la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique qui s’ouvraient au commerce extérieur. Vinrent ensuite les « Tigres » d’Asie comme Hong Kong, Singapore, la Corée, la Thaïlande qui surmontèrent la crise de 1998 pour rebondir en force et concurrencer les économies occidentales bien établies. Au fond, c’est l’avènement de la mondialisation qui a mené à l’éclatement du pouvoir occidental.

Autre facteur de réduction de l’importance du G-7, puis du G-20, la multiplication des enceintes plurilatérales, notamment dans le contexte de l’intégration européenne où les chefs d’état finirent par se rencontrer chaque fois qu’une question importante était soulevée. Les sommets de l’OTAN allaient se multiplier pour gérer la phase post-soviétique tandis que l’ONU multipliait les « grands messes » universelles. En 1990, il y eut même un Sommet pour les enfants qui réunit le plus grand nombre de chefs d’État et de gouvernement de l’histoire. Chaque région commençait à organiser ses sommets tandis que le Commonwealth et la Francophonie réunissaient ses chefs d’État et de gouvernement tous les deux ans. La Francophonie ne cessait de susciter des candidatures, dénaturant passablement sa vocation et son unité. L’APEC devait rééquilibrer progressivement les rapports de forces multilatéraux.  Mais la plupart de ces organisations finissent toujours par naviguer d’un communiqué à l’autre que de moins en moins de personnes lisent…

Dans un sens, la création, que dire, le foisonnement de multiples institutions, qui souvent se chevauchent, ou se font concurrence, reflète non seulement l’évolution de la gouvernance mondiale,26 mais la quasi-impossibilité de faire face aux exigences imposées par les défis croissants dans la planète… Nous ne sommes plus en 1945, et cela ne va pas en s’améliorant.

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End Notes

1 Voir l’excellent article de Elizabeth Benning, “The road to Rambouillet and the creation of the Group of Five,” dans International Summitry and Global Governance, Edited by Emmanuel Mourlon- Druol and Federico Romero (Londres, Routledge, 2014).

2 “The Foundations of Summitry,” dans International Summitry and Global Governance, op.cit p. 26

3 W.P.S. Sindhu, “The G-7 is Dead, Long Live the G7?” Livemint, 18 juin 2018, https://www.livemint.com/Opinion/RJ2AstHmuv16cPigCwCOyL/The-G7-is-dead-long-live-the-G7.html Traduction par l’auteur

4 Par exemple, pour le Canada, d’accepter ou non la présence du Président égyptien Hosni Moubarak pour plus que les quelques heures consacrées aux questions de développement.

5 À cette époque, l’auteur était directeur des relations économiques avec les pays en développement, direction qui couvrait l’aide à la transition des pays de l’Europe de l’Est, menant à la création d’une aide spéciale au sein de l’enveloppe d’assistance internationale de l’ACDI, aide non comptabilisée au sein du Comité de l’OCDE pour l’Aide au Développement (CAD), ainsi que la création de la Banque européenne de reconstruction et développement, création à laquelle le Canada a apporté une forte contribution.

6 Le communiqué sur ce point illustre les différences de perspectives que l’on retrouve dans les débats politiques en cours aux États-Unis mais on peut s’étonner que le Sommet inclue ce thème diviseur dans ses préoccupations : « Plusieurs chefs d’État et de gouvernement ont réaffirmé qu’il est indispensable d’assurer un accès universel à la protection sociale et à des services de santé de qualité à un coût abordable, à commencer par les soins de santé primaires » Communiqué de Biarritz.

7 George M. von Furstenberg, “The G8 Leaders Declaration on the World Economy: Form and Content at the 2009 L’Aquila  Summit,” G7 Information Centrehttp://www.g7.utoronto.ca/evaluations/2009laquila/vonfurstenberg090709.html

8 Voir l’excellent article d’Axel Berger, Andrew Cooper et Sven Grimm, “A decade of G20 summitry: Assessing the benefits, limitations and future of global club governance in turbulent times,South African Journal of International Affairs 26, no. 4 (2019), https://www.tandfonline.com/toc/rsaj20/26/4

9 Peter M. Boehm, « De l’utilité du G7 : témoignage d'un sherpa » Politique étrangère 2019/2 (été) pp. 61-74; traduction de l’auteur.

10 John Kirton, “Assessing G8 and G20 Performance, 1975–2009,” University of Toronto http://www.g8.utoronto.ca/scholar/kirton-isa-100219.pdf traduction de l’auteur.   

11 Op.cit., traduction de l’auteur.

12 Op.cit, traduction de l’auteur.

13 Voir: Jayati Ghosh, The Financial Crisis and the Developing World, Global Policy Forum, octobre 2008, https://www.globalpolicy.org/component/content/article/214-general/44087.html

14 John Kirton, “A Submit of Substantial Success: The Performance of Seoul G20 Summit,” G20 Information Centre, 13 novembre 2010, http://www.g20.utoronto.ca/analysis/101113-kirton-seoul-perf.html; traduction de l’auteur.

15 John Kirton, “A Summit of Very Substantial Success: G20 Governance of the Global Economy and Security at St. Petersburg,” G20 Information Centre, 6 septembre 2013, http://www.g20.utoronto.ca/analysis/130906-kirton-performance.html; traduction de l’auteur.

16 G20, “G20 Leaders’ Communique: Hanzhou Summit,” WTO.org, 5 septembre 2016, https://www.wto.org/english/news_e/news16_e/leaders_communique_hangzhou_summit_e.pdf, traduction de l’auteur.

17 Tristen Naylor, “Ten Years of the G20: The Illiberal Turn of Neoliberalism's Saviour,” G20 Information Centre, 1 décembre 2018, http://www.g20.utoronto.ca/analysis/181201-naylor-ten-years.html, traduction de l’auteur.

18 Wolfgang Sachs“The age of development: an obituary,”  New Internationalist 523,  (27 février 2020), https://newint.org/features/2019/12/09/long-read-age-development-obituary, traduction de l’auteur.

19 Op.cit.

20 Berger, Cooper, Grimm l’évoquent. Op.cit.

21 Steven Slaughter, The Power of the G20: The Politics of Legitimacy in Global Governance, (Londres : Rutledge, 2020).

22 Quand Madame Lagarde, nouvelle patronne de la Banque centrale européenne, mais encore influencée par son expérience à la tête de la Banque mondiale, a avisé que la BCE n’avait pas pour fonction de niveler les écarts entre les coûts d’emprunt des pays membres, la bourse de Milan a perdu 17% en un jour. Il a fallu qu’elle se rattrape.

23 William J. Burns, “A Make-or-Break Test for American Diplomacy,” The Atlantic, 6 avril 2020, https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/04/a-make-or-break-test-for-american-diplomacy/609514/, traduction de l’auteur.

24 Nathalie Tocci, « International Order and the European Project in Times of COVID19,” Istituto Affari Internazionali, 20 mars 2020, https://www.iai.it/en/pubblicazioni/international-order-and-european-project-times-covid19, traduction de l’auteur.

25 Nicholas Baynes, Hanging in There: The G7 and G8 Summit in Maturity and Renewal (Londres, Rutledge, 2000).

26 Voir Chiara Oldani et Jan Wouters (éditeurs), The G7, Anti-Globalism and the Governance of Globalization (Londres: Rutledge, 2018).

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Au sujet de l’auteur

Ferry de Kerckhove est né en Belgique en 1947. Il possède un baccalauréat spécialisé en sciences sociales (économie), une maitrise en sciences politiques de l’Université d’Ottawa et a effectué des études de doctorat à l’Université Laval de Québec.

Il s’est joint au ministère canadien des Affaires extérieures en septembre 1973. De 1981 à 1985, il été Conseiller économique à la délégation canadienne à l’OTAN. En septembre 1992, il a été affecté à Moscou en tant que ministre et sous-chef de mission. En 1995, il est devenu Négociateur en chef adjoint pour les accords aériens, puis sous-chef du Secteur de la planification politique et directeur général des relations fédérales-provinciales. Il a été nommé Haut-Commissaire auprès de la République islamique du Pakistan en août 1998. En septembre 2001, il est devenu ambassadeur de la République d’Indonésie ainsi qu’auprès du Timor oriental.

En septembre 2003, il a rejoint la faculté des sciences sociales à l’Université d’Ottawa en tant que diplomate en résidence et a été en même temps rédacteur des discours en français du Premier ministre Martin.   En 2004, il est devenu Directeur général des Organisations internationales. En juillet 2006, il a ajouté à ses responsabilités la fonction de Représentant personnel du Premier ministre auprès de la Francophonie. En 2008, il a été nommé ambassadeur à la République arabe d’Égypte. Il a pris sa retraite en septembre 2011.

Il est « Fellow » de l’Institut canadien des affaires mondiales. Il était jusqu’à tout récemment membre du Conseil de direction de l’Institut de la Conférence des Associations de la Défense ICAD) dont il a été vice-président exécutif en 2012-14. Il est conseiller auprès du Canada Arab Institute et du Canada Pakistan Business Council. Il a été responsable des relations gouvernementales pour Qatar Airways au Canada de 2012 à 2013 et membre du Conseil de direction de WIND Mobile Canada de 2012 à 2015. Il est président de Golden Advice Inc. Il a été coauteur et auteur du document Les perspectives stratégiques du Canada publié par l’Institut de la CAD de 2013 à 2016. Il a contribué de nombreux articles dans la presse anglophone et francophone et commente régulièrement les actualités internationales à la radio et à la télévision dans les deux langues officielles. Enfin, il est membre du Conseil de direction de la Canadian University in New Cairo ainsi que du Collège militaire royal de St. Jean.

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Canadian Global Affairs Institute

The Canadian Global Affairs Institute focuses on the entire range of Canada’s international relations in all its forms including (in partnership with the University of Calgary’s School of Public Policy), trade investment and international capacity building. Successor to the Canadian Defence and Foreign Affairs Institute (CDFAI, which was established in 2001), the Institute works to inform Canadians about the importance of having a respected and influential voice in those parts of the globe where Canada has significant interests due to trade and investment, origins of Canada’s population, geographic security (and especially security of North America in conjunction with the United States), social development, or the peace and freedom of allied nations. The Institute aims to demonstrate to Canadians the importance of comprehensive foreign, defence and trade policies which both express our values and represent our interests.

The Institute was created to bridge the gap between what Canadians need to know about Canadian international activities and what they do know. Historically Canadians have tended to look abroad out of a search for markets because Canada depends heavily on foreign trade. In the modern post-Cold War world, however, global security and stability have become the bedrocks of global commerce and the free movement of people, goods and ideas across international boundaries. Canada has striven to open the world since the 1930s and was a driving factor behind the adoption of the main structures which underpin globalization such as the International Monetary Fund, the World Bank, the World Trade Organization and emerging free trade networks connecting dozens of international economies. The Canadian Global Affairs Institute recognizes Canada’s contribution to a globalized world and aims to inform Canadians about Canada’s role in that process and the connection between globalization and security.

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