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Syrie: une riposte promise aux effets incertains

by Sarah Champagne (feat. Thomas Juneau)

Le Devoir
April 12, 2018

Le scénario semble presque usé, calqué jusqu’à maintenant sur celui d’avril 2017, il y a un an presque jour pour jour. Une attaque chimique, attribuée rapidement au régime du président syrien, Bachar al-Assad, par ses détracteurs. Une escalade verbale s’ensuit, entre alliés du régime et puissances de l’autre camp. Puis, un blocage au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie opposant son veto dans le tumulte d’un dialogue de sourds, pour la 12e fois.

La riposte occidentale aux attaques chimiques présumées en Syrie serait imminente, selon le président américain, Donald Trump. Une riposte qui s’annonce vaine et son impact, limité, selon plusieurs analystes, dont le professeur Thomas Juneau. Cette frappe à venir pourrait cependant repositionner les États-Unis dans cette guerre qui dure depuis sept ans, croit quant à lui le politologue Sami Aoun.

Les tirs croisés étaient encore, au moment d’écrire ces lignes, confinés à Twitter et au Conseil de sécurité des Nations unies. Le président Trump a accusé la Russie d’être le partenaire d’un « animal qui tue son peuple avec du gaz et qui aime cela », faisant référence au président al-Assad. Dans une déclaration, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a qualifié l’attaque présumée de samedi dernier de « mise en scène » destinée à protéger les terroristes.

L’ampleur des représailles ne s’était donc pas encore éclaircie. « Au point où l’on en est, quelle que soit la décision que Trump prendra, il n’y a aucune bonne option. Quoi qu’il fasse, ça aura un impact limité sur le conflit et ne changera pas l’équilibre des forces en présence », affirme le spécialiste du Moyen-Orient et professeur à l’Université d’Ottawa Thomas Juneau.

Les frappes chirurgicales du 7 avril 2017, en réponse aux attaques chimiques sur des civils de la ville de Khan Cheikhoun, « n’ont visiblement pas dissuadé Assad d’utiliser des armes chimiques », remarque-t-il, écartant ainsi la possibilité d’un effet dissuasif. Aucun « scénario ne permettrait aux États-Unis de faire une différence sur le conflit », dit ainsi M. Juneau.

« Si la frappe se déroule plutôt dans des séquences de trois ou quatre jours, à l’image de l’opération Renard du désert en Irak en 1998, elle pourrait affaiblir assez le régime pour l’obliger à retourner aux négociations de Genève », ajoute quant à lui le professeur à l’Université de Sherbrooke Sami Aoun. Mais si la riposte américaine se borne à un « acte de revanche et de discipline », elle ne changera pas le cours de la guerre, dit-il.

Puissances en terrain étranger

Tel un « déjà-vu », les photos d’enfants asphyxiés et de civils en fuite dans un nuage réputé toxique se répètent. Que les attaques s’avèrent ultérieurement confirmées ou non, ce nouveau cortège funèbre remet de la pression sur le président américain.

Son prédécesseur, Barack Obama, avait tracé, le 20 août 2012, cette « ligne rouge », faisant planer la menace « d’énormes conséquences » si le régime d’al-Assad employait des armes chimiques. Une ligne rouge que l’on sait aujourd’hui maintes fois franchie, sans pour autant forcer un engagement significatif des Américains en Syrie.

La perspective d’une action militaire des États-Unis, soutenus par la France et probablement le Royaume-Uni, s’inscrit cette fois dans un contexte extrêmement difficile entre l’Occident et la Russie, principal allié du président syrien. Quant au Canada, le premier ministre Justin Trudeau n’entend pas participer à une nouvelle action militaire contre le régime de Bachar al-Assad, selon Radio-Canada.

Les relations ont déjà été passablement dégradées par l’affaire de l’ex-espion russe Sergueï Skripal empoisonné par un agent innervant en Angleterre le 4 mars.

« Le scénario le plus crédible est que les Américains veuillent consolider leurs acquis dans l’est de la Syrie, une partie du territoire sous contrôle des Kurdes et de quelques groupes arabes connus pour leur loyauté à l’Arabie saoudite », croit M. Aoun. Il y voit aussi une « montée de lait des démocraties occidentales de mettre une limite à Poutine “l’effronté”, qui est allé loin dans la déstabilisation et l’humiliation, maintenant dans l’affaire Skripal ».

La possibilité d’une ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016 fait en effet présentement l’objet d’une enquête.

« Il faut faire attention à ne pas pousser le cynisme trop loin. On ne peut pas prouver qu’un président veut détourner l’attention des problèmes internes, mais on peut le suggérer », commente le professeur Juneau. Donald Trump veut, dans tous les cas, « démontrer qu’il est plus fort et plus dur que le président Obama », ajoute-t-il.

La guerre continue

L’appui de la Russie, notablement de sa force aérienne, ainsi que de l’Iran a contribué à sécuriser une partie significative du territoire aux mains du régime d’al-Assad dans les deux dernières années. Ainsi, l’ouest du pays, cette « Syrie utile » qui regroupe plus de 80 % de la population et contient les cinq villes principales, est considéré sous contrôle officiel depuis la reconquête complète d’Alep en décembre 2016.

La fin des combats est encore loin malgré cela, répète M. Juneau. « Oui, l’opposition diminue en termes de territoires qu’elle contrôle. Certains groupes ont quitté la Ghouta dans les dernières semaines, mais il reste des milliers de combattants [du groupe] État islamique très expérimentés et convaincus », observe-t-il.

L’autre certitude, partagée par M. Aoun, est que la chute du président al-Assad est hautement improbable. « On n’a aucun indice d’une vision articulée et globale du gouvernement Trump de la Syrie, et de la région, affirme-t-il, mais quand on s’engage dans une guerre, on n’est surtout pas sûrs que les plans décidés à l’avance ne changeront pas en cours de route. L’imprévisibilité est une certitude. »

Une attaque vraiment chimique ?

L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé l’envoi imminent d’une équipe en Syrie, qui sera chargée de faire la lumière sur l’attaque présumée. Elle n’aura cependant pas la mission d’en désigner les responsables.

Damas et Moscou nient toute attaque chimique. Les Casques blancs et l’ONG Syrian American Medical Society avancent quant à eux qu’au moins 40 personnes ont été tuées samedi dernier et 500 personnes ont dû être admises dans des hôpitaux pour des difficultés respiratoires. Les symptômes les incitent à penser qu’il s’agissait de chlore ou de sarin, rapportent-ils.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a réclamé mercredi un accès à Douma, dernière enclave rebelle aux portes de Damas dans la Ghouta orientale. Se disant « profondément alarmée », l’OMS « exige un accès immédiat et libre à la zone pour soigner les victimes, pour évaluer les conséquences sanitaires et pour délivrer une action complète de santé publique ».


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