C’est parce qu’il a en tête l’effet déstabilisant qu’ont eu les bombardements occidentaux sur l’Irak en 2003 et sur la Libye en 2011 que Justin Trudeau veut rapatrier les avions canadiens déployés en Irak et en Syrie. Selon le premier ministre, il faut penser à la stabilité à long terme de la région, ce à quoi l’aide humanitaire canadienne contribuera davantage que des bombes. Cette réorientation de la mission implique cependant que le Canada aura désormais beaucoup plus de soldats sur le terrain qu’avant.

« L’expérience en Irak, l’expérience en Libye, les expériences dans des endroits semblables pendant les dernières années, y compris nos efforts et nos accomplissements en Afghanistan, soulignent le fait que la meilleure façon de promouvoir une stabilité à long terme dans la région, c’est d’aider les gens locaux à combattre contre les terroristes et à regagner leurs terres et leur pays », a lancé M. Trudeau au cours d’une conférence de presse lundi. 

D’ici deux semaines, les six avions CF-18 qui participaient aux bombardements en Irak et en Syrie reviendront au pays. Toutefois, les deux avions de surveillance Aurora et l’avion de ravitaillement en vol Polaris resteront sur place. N’est-ce pas hypocrite de retirer nos avions tout en continuant d’aider ceux des autres pays ?

« Les avions de ravitaillement et de surveillance m’ont été mentionnés à plusieurs reprises comme étant extrêmement importants pour nos alliés. Nous voulons être de bons partenaires de la coalition », a répondu M. Trudeau.

Situation de combat

Les troupes canadiennes déployées dans la région seront plus nombreuses qu’avant : de 650, le nombre de militaires passera à 830, et ce, malgré le retour au pays des quelque 300soldats assignés aux six CF-18. Cela s’explique, d’une part, parce qu’Ottawa triple, à 210, le nombre de militaires affectés à la formation des troupes locales et, d’autre part, parce qu’il augmente d’environ 300 le nombre de soldats en poste dans la région, y compris en Jordanie et au Liban, dans diverses fonctions. 

« Nous allons augmenter de manière significative les ressources affectées au renseignement à la fois dans le nord de l’Irak et partout dans le théâtre des opérations », a expliqué le ministre de la Défense nationale, Harjit Sajjan.

La mission de ces 210 formateurs militaires ne sera pas de tout repos. Si le premier ministre assure qu’il « ne s’agit pas d’une mission de combat », le discours tout en subtilités du chef d’état-major permet de conclure le contraire. « Je soupçonne qu’il y aura des combats », a reconnu Jonathan Vance en évoquant l’hypothèse que les troupes locales accompagnées d’entraîneurs canadiens soient attaquées et appelées à se défendre. « J’estime que ce n’est pas une mission de combat puisque nous ne sommes pas le combattant principal. Nous sommes en soutien à ceux qui le sont. Nous serons à proximité des dangers auxquels ils sont exposés. »

En janvier 2015, le gouvernement conservateur s’était retrouvé dans l’embarras justement parce qu’on avait appris que des soldats canadiens avaient essuyé des tirs ennemis en s’approchant de la ligne de front. En décembre, ils se sont retrouvés au coeur d’un échange de tirs au sol ayant duré près de 17 heures.

« Il est vrai que nous allons courir des risques accrus », areconnu le chef d’état-major. Et là est toute l’ironie de la situation, selon David Perry, analyste militaire à l’Institut canadien des affaires mondiales. « La partie la plus risquée de la mission était celle se déroulant au sol en Irak [la formation] et c’est celle qui est la plus élargie. » En outre, le Canada continuera d’identifier des cibles à attaquer, a reconnu le chef d’état-major Vance.

Ottawa allouera 306 millions de dollars supplémentaires à cette mission militaire au cours de la prochaine année. Pour l’instant, la mission est prolongée jusqu’en mars 2017, mais le premier ministre a indiqué que l’intention était qu’elle dure une année de plus.

Plus d’humanitaire… et de critiques

L’autre volet important de la contribution canadienne annoncée lundi concerne l’aide humanitaire dans les régions concernées. Au total, Ottawa consacrera 1,1 milliard de dollars en trois ans à ce volet humanitaire, dont seulement 130 millions étaient déjà budgétés par le gouvernement précédent. Une partie de cette aide (840 millions de dollars) servira à répondre aux besoins de base des personnes touchées par le conflit (vivres, abris, eau, etc.) tandis que le reste visera à consolider la capacité des gouvernements locaux à offrir des services sociaux de base (éducation, santé, etc.).

La chef par intérim du Parti conservateur n’a pas mâché ses mots pour condamner la décision du gouvernement libéral. Rona Ambrose estime qu’en retirant ses avions de combat, le Canada envoie le message que cette guerre « n’est pas notre guerre ». Or, déplore-t-elle, quand « nos amis sont attaqués », quand « les droits de la personne sont bafoués », « c’est notre guerre ». Mme Ambrose a qualifié le conflit dans la région de « guerre juste » à laquelle le Canada se doit de participer.

Justin Trudeau avait, de manière préventive, contrecarré cet argument en matinée. « Il y a ceux qui croient que nous devrions adopter une rhétorique enflammée en parlant de l’État islamique. » Or, a-t-il ajouté, « nous croyons que nous devrions éviter de faire précisément ce que notre ennemi souhaite que l’on fasse. […] L’ennemi mortel de la barbarie n’est pas la haine, c’est la raison. Les gens qui sont terrorisés par l’EI tous les jours n’ont pas besoin de notre vengeance. Ils ont besoin de notre aide. »

Le NPD a applaudi à l’augmentation de l’aide humanitaire, mais il a reproché au gouvernement par communiqué « d’ancrer plus profondément les Forces canadiennes en Irak dans une mission de combat militaire sans durée prédéterminée ». L’ambassadeur américain à Ottawa a pour sa part diffusé une déclaration dans laquelle il se dit « heureux » de la contribution canadienne. « Le Canada demeure un partenaire essentiel dans la mission contre Daesh. »