Image credit: Richard Lautens / Star file photo
par Émile Martel
Ancien diplomate, Président de l’Académie des lettres du Québec
août, 2016
Table of Contents
- L’idée de relancer le volet culturel d’une politique étrangère canadienne
- Des Attachés Culturels
- Les Cultures Au Canada
- Une Fenêtre Au Parlement
- A propos de l'auteur
- Canadian Global Affairs Institute
L’idée de relancer le volet culturel d’une politique étrangère canadienne
Si on regarde la carte du monde, chaque pays est un orchestre dont les musiciens somnolent. Même le plus grand compositeur attend à la porte du théâtre s’il n’y a pas de concert ce soir-là, si les musiciens ne montent pas sur scène parce que les spectateurs sont allés ailleurs entendre autre chose.
Une politique étrangère qui inclut un dynamique volet culturel réveille cet orchestre, avertit le monde qu’une voix distincte et originale est prête à jouer, à séduire, à surprendre et ramène ces spectateurs.
D’abord, j’ai la conviction qu’il est essentiel d’inclure les mots ‘relations culturelles’ dans le vocabulaire de notre politique étrangère. Rien que ce changement aidera déjà beaucoup à ouvrir les esprits au sujet d’un élément important parmi nos intérêts et nos besoins.
Les relations culturelles internationales agissent dans un univers qui ne dort jamais. Il y a toujours des gens curieux prêts à entendre la voix d’un pays et à juger ce qu’elle a de singulier pour en apprendre quelque chose, pour être séduits, pour répondre à sa curiosité et à son besoin d’évasion.
Dans tous les champs de la culture, une fois qu’on comprend qu’il ne s’agit pas simplement de divertissement ou d’un bien de consommation ordinaire, le Canada, dans les domaines numériques et tous les aspects de l’audiovisuel, autant que dans les domaines traditionnels peut jouir d’industries dites culturelles de toute première grandeur qui souhaiteront profiter d’un appui diplomatique informé et dynamique.
La signature culturelle du Canada s’affiche par la singularité de ses créateurs, tout particulièrement quand ils véhiculent nos qualités spécifiques de multiculturalisme même si le concept est souvent rejeté dans d’autres pays, projetant ainsi un foisonnement créatif basé sur les arts et la création que notre géographie, surtout notre nordicité, et notre histoire et notre population – des premières nations, européenne, orientale, latino-américaine, récente en général – ont marqués.
Non seulement les réseaux nationaux et régionaux et internationaux de circulation des événements et produits culturels sont-ils en place, mais ils ne suffisent pas à la tâche. Une structure d’appui à la diffusion culturelle dans nos missions à l’étranger porterait fruit et elle nous apporterait la culture des autres, elle favoriserait le dialogue de nos citoyens, surtout les artistes canadiens, avec les créateurs d’ailleurs, elle favoriserait un enrichissement de notre société.
Comment douter de l’impact, pour la qualité de notre image et de notre influence à l’étranger de la présence de nos grandes troupes et orchestres, de nos interprètes de qualité, de nos écrivains et artistes visuels et numériques et cinématographiques et télévisuels sur les scènes et sur les murs, dans les médias et les librairies du monde ?
Il faut avoir vu avec quelle reconnaissance les chefs de nos missions diplomatiques, ceux et celles qui comprennent que la relation avec leur pays d’accréditation est une affaire humaine, et non seulement une affaire de chiffres, avec quelle reconnaissance, dis-je ils et elles souhaitent profiter du passage d’un intellectuel canadien, de la prestation d’un interprète, de la présence d’une écrivaine, d’un cycle de conférences ou d’un congrès qui amène des Canadiens ou des Canadiennes engagés dans leur domaine. Chaque occasion de ce type est saisie pour aller chercher l’intérêt de l’autre, le séduire.
Certains programmes de relations culturelles ont connu un brillant succès dans les années passées et ont, pour des raisons de microscopiques économies, été annulés. C’est le cas du programme d’appui aux études canadiennes. On trouvait là des universitaires qui, intéressés eux-mêmes dans un aspect quelconque de la réalité canadienne – historique, littéraire, géographique, sociologique, scientifique, ethnographique etc. – choisissaient d’en faire le sujet de leur enseignement, l’objet des recherches qu’ils menaient et qu’ils proposaient à leurs étudiants. Il en coûtait trois fois rien en bourses de voyages, en organisations de conférences régionales, en aides à la publication et à la recherche.
Dans cette logique, on ne peut surestimer l’importance des relations universitaires et d’un effort pour inviter les étudiants étrangers à venir poursuivre leurs études au Canada. Dans ce contexte, un effort renouvelé pour établir les équivalences de diplômes est surement nécessaire.
Des Attachés Culturels
L’efficacité d’un programme culturel à l’étranger n’impose pas de faire de nos attachés culturels des impresarios ou des agents d’artistes. Non. Ce sont des gens qui sont familiers avec les produits et les oeuvres de la culture canadienne et qui ont une familiarité similaire avec le milieu culturel de leur pays d’accueil. Ils sont nos courtiers : ils connaissent des gens, ils sont connus des galeristes et des directeurs de salons, ils ont fréquenté les librairies et ont été vus lors de conférences et de colloques, dans les festivals et les salons. Ils et elles savent recevoir et on leur accorde les moyens adéquats pour le faire.
Celui qui connaît notre politique étrangère des dernières décennies et les diplomates canadiens auxquels elle a été confiée se posera vite une question, cependant : où est aujourd’hui, en 2016, cet attaché culturel ? À Ottawa, je suggèrerais qu’on en confie le recrutement à une agence comme le Conseil des arts du Canada, ainsi que la gestion d’un programme de relations culturelles internationales, à la condition expresse que ce soit aux Affaires étrangères que demeure la responsabilité politique du programme et qu’un solide bureau de la culture y occupe un fauteuil à la haute direction. J’y verrais moins Patrimoine Canada puisque la pulsion internationale n’y est guère et le ministère est essentiellement ancré dans la réalité politique interne.
Ce n’est que dans les grandes missions et souvent avec des responsabilités régionales que des conseillers culturels seraient nommés, à la tête de bureaux de la culture distincts des services d’information ou de presse, mais en voisinage avec eux. On peut en imaginer une douzaine dont Tokyo, Moscou, Londres, Paris, New York, Berlin, Pékin, Dakar, Mexico, Buenos Aires, le Caire.
Je pense qu’il faudrait chercher auprès d’employés locaux dans nos missions l’essentiel des travailleurs sur le terrain, leur accordant de fréquentes visites de familiarisation au Canada, aussi longtemps qu’ils et elles seront issus de milieux du pays hôte où les actions culturelles, les événements artistiques, les réseaux et festivals leurs seraient connus ou accessibles.
Quant aux Conseillers culturels canadiens, ils et elles devront avoir le sens des réseaux mais aussi un don de dialogue avec les individus, savoir réconcilier un sens de l’organisation rigoureux et des qualités de gestionnaire avec une ouverture d’esprit et un réel appétit culturel. Ils seraient des ‘recyclés’ de l’action artistique sur le terrain ; des gens de la communication ; des gens qui ont un nom dans leur milieu et dans leur domaine, où que ce soit au Canada.
Des gens engagés avec un mandat précis, d’abord pour deux ans, le temps de faire leurs preuves, puis maintenus en poste pour permettre l’aboutissement de leurs projets et la création d’un bon réseau de contacts ; des gens qui connaissent les langues qu’il faut, tant canadiennes que locale ; des gens triés sur le volet après un recrutement par concours et qui savent ce qu’ils vont aller faire à l’étranger ; des gestionnaires culturels, des praticiens des arts, des directeurs d’événements. Des gens faciles à vivre et enthousiastes qui partiront superbement briefés sur toutes les formes d’action, y inclus et presque surtout celles qui ne concernent pas leur champ et leur expérience personnelle. Des gens qui, bien évidemment, maitrisent les médias sociaux et les nouvelles expressions artistiques. Un poste de prestige avec un titre diplomatique élevé accordé à une personne enthousiaste à l’idée de consacrer quelques années de sa vie à une carrière généreuse, dynamique et multidisciplinaire.
Les Cultures Au Canada
La ‘culture’ canadienne n’a pas à être étiquetée de francophone ou anglophone, de québécoise ou acadienne ou des premières nations ou des nouveaux venus. La loi de la qualité en assure l’importance et une politique gouvernementale éclairée en trouvera les porte-étendards autant qu’un réseau exhaustif des festivals et des musées, plateformes et vitrines de la culture dans le monde, réseau canadien que nos attachés culturels auront justement comme vocation de découvrir, d’explorer, d’exploiter.
Je pense donc à un important volet interne de cette politique externe, en dialogue avec les autorités provinciales qui ont la responsabilité constitutionnelle sur le sujet. Il faut d’une certaine manière appliquer aux cultures et civilisations d’origines lointaines une énergie que nous sommes enfin en train d’apporter aux expressions culturelles des premières nations, et à la multitude de foyers culturels si féconds au Canada. Et quelque chose doit être fait pour valoriser et illustrer les cultures d’origine des futurs et nouveaux citoyens venus de régions du monde qui nous sont peu familières. En informer la population canadienne en général et illustrer ces cultures pour les rapprocher de nos habitudes, pour les inscrire dans notre sensibilité, pour s’enrichir de leur influence.
C’est ainsi qu’il faudrait tenter à Ottawa de rassembler informellement les missions diplomatiques étrangères qui ont une offre culturelle, avec des grandes agences culturelles fédérales et provinciales (Conseils et ministères, diverses fédérations et agences). Ce lieu de dialogue et d’échange aurait sa fenêtre à la mission canadienne dans les grandes capitales mondiales où le Canada aura lancé ou relancé son offre culturelle et sa curiosité pour l’art des autres. Ne voulons-nous pas ouvrir ainsi le marché des arts et des événements artistiques, autant canadiens qu’étrangers dans un climat dynamique de tournées, d’expositions, de résidences et de festivals ?
J’encouragerais, maintenant que le gouvernement semble avoir redécouvert l’importance des relations multilatérales, des retrouvailles qu’on pourrait favoriser avec les agences et programmes spécialisés en éducation et culture et même en sciences de l’ONU de l’UNESCO et des organisations régionales ou sectorielles.
Une Fenêtre Au Parlement
Au niveau politique, je suggérerais que le Sénat et la Chambre, si la chose n’est pas déjà en place, ajoutent, en autant de mots, les relations culturelles internationales au mandat de l’un de leurs comités ; qu’un secrétaire parlementaire du membre du cabinet responsable des dossiers ait aussi ce mandat spécifique. Je me rappelle de la nomination au Quai d’Orsay d’un secrétaire d’état aux relations culturelles internationales, interlocuteur auquel j’ai un jour rendu visite en accompagnant un membre du Cabinet canadien.
Il faudrait revoir les ententes signées dans le passé quant aux relations culturelles ; elles incluaient des obligations et des calendriers, encadraient des programmes et fournissaient des occasions de relance ou une plateforme de lancement pour les échanges et programmes. De ces souvenirs ou de ces squelettes, succès ou échecs, tirer un peu de sagesse?
A propos de l'auteur
Émile Martel est poète et traducteur littéraire. Diplomate (1967-1998) il a souvent défendu les dossiers culturels. Sa dernière affectation a été comme Ministre (Affaires culturelles) à Paris. Prix du Gouverneur général pour la poésie en 1995, il est traducteur de l’espagnol et de l’anglais et président de l’Académie des lettres du Québec.
Canadian Global Affairs Institute
The Canadian Global Affairs Institute focuses on the entire range of Canada’s international relations in all its forms including (in partnership with the University of Calgary’s School of Public Policy), trade investment and international capacity building. Successor to the Canadian Defence and Foreign Affairs Institute (CDFAI, which was established in 2001), the Institute works to inform Canadians about the importance of having a respected and influential voice in those parts of the globe where Canada has significant interests due to trade and investment, origins of Canada’s population, geographic security (and especially security of North America in conjunction with the United States) or the peace and freedom of allied nations. The Institute aims to demonstrate to Canadians the importance of comprehensive foreign, defence and trade policies which both express our values and represent our interests.
The Institute was created to bridge the gap between what Canadians need to know about Canadian international activities and what they do know. Historically Canadians have tended to look abroad out of a search for markets because Canada depends heavily on foreign trade. In the modern post-Cold War world, however, global security and stability have become the bedrocks of global commerce and the free movement of people, goods and ideas across international boundaries. Canada has striven to open the world since the 1930s and was a driving factor behind the adoption of the main structures which underpin globalization such as the International Monetary Fund, the World Bank, the International Trade Organization and emerging free trade networks connecting dozens of international economies. The Canadian Global Affairs Institute recognizes Canada’s contribution to a globalized world and aims to inform Canadians about Canada’s role in that process and the connection between globalization and security.
In all its activities the Institute is a charitable, non-partisan, non-advocacy organization that provides a platform for a variety of viewpoints. It is supported financially by the contributions of individuals, foundations, and corporations. Conclusions or opinions expressed in Institute publications and programs are those of the author(s) and do not necessarily reflect the views of Institute staff, fellows, directors, advisors or any individuals or organizations that provide financial support to the Institute.
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