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Les crimes des diplomates impunis

by Christopher Nardi (feat. Ferry de Kerckhove)

Le Journal de Quebec
July 31, 2017

OTTAWA |  Des experts, des militants et même un ancien chef de police se disent frustrés par l’actuelle immunité qui permet à certains diplomates étrangers d’échapper à la loi canadienne, et ce, même s’ils sont soupçonnés de crimes graves.

Trafic d’êtres humains, conduite dangereuse, vol, violence conjugale et factures impayées. Chaque année, des diplomates étrangers commettent des infractions qui nécessitent l’intervention des autorités.

Or, à moins d’une rare exception, ces agents étrangers échappent à la justice canadienne grâce à l’immunité diplomatique qui leur est offerte en vertu de la Convention de Vienne.

Par exemple, le mois dernier, la police d’Ottawa soupçonnait un employé diplomatique de conduite dangereuse qui aurait causé un accident impliquant plusieurs véhicules. Dans un autre cas, en 2016, les autorités en soupçonnaient d’autres de faire du trafic d’êtres humains dans leur ambassade.

À la hausse

Ces informations sont contenues dans des rapports produits par le Bureau du Protocole. Le Journal a obtenu une copie de tous les rapports entre septembre 2015 et juin 2017 en vertu de la loi d’accès à l’information.

Alors qu’on recensait 12 incidents entre septembre et décembre 2015, ce nombre n’a cessé d’augmenter depuis. On en recense environ 25 par trimestre maintenant. Environ 6000 personnes ont l’immunité diplomatique au pays.

«Insensé»

Cependant, elle ne devrait pas donner carte blanche aux diplomates, croient de nombreux intervenants.

Selon l’ex-chef de police d’Ottawa devenu sénateur, Vernon White, le personnel diplomatique ne devrait pas avoir de passe-droit pour certains types de crimes, comme «les agressions sexuelles, le trafic d’êtres humains, les homicides, la conduite avec les facultés affaiblies ayant entraîné la mort». Dans ces cas, M. White suggère plutôt que les diplomates devraient justifier l’application de l’immunité.

Même son de cloche du côté de l’organisme MADD, qui lutte contre les actes criminels au volant.

«C’est complètement insensé que l’immunité diplomatique s’applique jusqu’aux infractions de conduite dangereuse au volant», dénonce le directeur général Andrew Murie.

Du côté de la Société de l’aide à l’enfance d’Ottawa, on indique qu’il y a de plus en plus de signalements de cas d’agression d’enfants chez les diplomates. Or, il n’est pas toujours facile d’intervenir rapidement à cause des sensibilités diplomatiques.

Allégations d’agression

  • La Société de l’aide à l’enfance d’Ottawa intervient régulièrement auprès de parents diplomates et leurs enfants à la suite de dénonciations d’agressions potentielles. Uniquement entre mars et juin 2017, la SAE a reçu quatre alertes impliquant des familles de diplomates, dont une si urgente que l’organisme a dû intervenir le jour même.
  • Dans d’autres cas, la police doit intervenir dans le cadre de violence conjugale alléguée. En mars, la GRC a répondu à un appel impliquant un agent diplomatique à Ottawa qui avait déjà été accusé de violence conjugale par le passé.

Conduite dangereuse

Les agents étrangers ne sont pas généralement assujettis aux amendes et sanctions des Codes de la sécurité routière provinciaux.

  • Cet été, la police soupçonnait un attaché politique d’ambassade à Ottawa de conduite dangereuse qui aurait causé un important accident impliquant plusieurs véhicules. Le Bureau du protocole a demandé au gouvernement de l’employé de lever son immunité diplomatique, mais n’a toujours pas reçu de réponse.
  • En 2016, les policiers ont arrêté un diplomate d’un consulat montréalais qui roulait à plus de 50 km/h au-dessus de la limite légale et voulaient l’accuser de participation à une course de rue. Ils devaient toutefois attendre que son immunité soit levée.

Vols de passeports

Les passeports canadiens ne sont pas seulement prisés par certaines personnes à l’extérieur du pays. Il arrive même que des agents diplomatiques étrangers soient pris en flagrant délit.

  •  �Au printemps 2016, le Bureau du protocole a dû rappeler à tous les agents diplomatiques au Canada quelle était la procédure légale pour obtenir un passeport canadien après avoir découvert qu’un diplomate étranger en avait acquis un de façon «illégitime» pendant son séjour au pays.

Trafic humain

  • �À l’été 2016, la police d’Ottawa soupçonnait qu’un membre d’une ambassade faisait du trafic humain. Une plainte alléguait le sous-paiement d’employés qui travaillaient un nombre d’heures impensable, qui manquaient de nourriture et de soins et qui subissaient des abus physiques et verbaux. Une personne s’est même plainte d’avoir été embarrée dans sa chambre à la fin de son quart de travail pour l’empêcher de quitter le site.
  •  �Dès mars 2016, Ottawa a décelé de nombreux abus dans des résidences diplomatiques et consulaires à Montréal après des entrevues avec une vingtaine de domestiques. Parmi celles-ci, le Bureau du protocole a décelé des conditions de travail inacceptables et de nombreuses infractions criminelles.

Comptes impayés

Certains consulats et ambassades sont de véritables cancres quand vient le moment de payer leurs factures.

  •  En juin, le Bureau du protocole rapportait qu’une mission diplomatique devait près de 300 000 $ à la Ville d’Ottawa pour des taxes municipales et des factures d’eau impayées.
  • Au printemps, des rapports indiquaient qu’une ambassade devait plus de 10 000 $ en salaire et avantages sociaux impayés à ses employés.
  • En mars 2016, l’hôpital Sainte-Justine s’est plaint à Ottawa d’un employé d’un consulat montréalais qui lui devait toujours 10 000 $. Trois mois plus tard, cette personne leur devait encore plus de 6000 $.
  •  �En 2015, un propriétaire d’immeuble s’est plaint qu’une ambassade lui devait plus de 23 000 $ en loyer et frais impayés.

Sources : Rapports trimestriels du Bureau du protocole du Canada, obtenu en vertu de la Loi d’accès à l’information. Ces rapports sont lourdement caviardés, cachant l’identité des agents étrangers, le pays dont ils sont issus ainsi que certains détails des infractions commises.

«Il y a certainement des endroits où l’on est très contents d’être couverts par la Convention de Vienne et par l’immunité diplomatique, notamment des pays où la loi est appliquée au goût des dirigeants ou lorsqu’il y a des tensions entre le Canada et le pays qui nous accueille», explique l’ancien directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, Serge April.

«[L’immunité] peut créer des situations très frustrantes au Canada, mais, dans la pratique, je ne vois pas ce que le gouvernement canadien pourrait faire contre ceux qui commettent des infractions», continue-t-il.

Même son de cloche chez l’ex-ambassadeur canadien Ferry De Kerckhove, qui ajoute que les pays ont peu de recours contre des diplomates étrangers, outre la pression politique. Rappelons que les familles des diplomates jouissent aussi de l’immunité.

Le Canada peut aussi demander au pays de l’envoyé de lever son immunité politique et, dans des cas extrêmes, l’expulser du Canada en le déclarant persona non grata.

«Il n’y a pas vraiment de moyens d’oppression, seulement des moyens de pression. Il faut se rappeler que s’en prendre à un diplomate peut directement affecter les liens entre deux pays, donc ce sont des enjeux extrêmement sensibles», analyse M. De Kerckhove.

Renoncer à l’immunité

Pour sa part, Affaires mondiales Canada dit prendre au sérieux les allégations d’actes criminels qui impliquent des diplomates.

«Lorsque les forces policières appuient les accusations criminelles portées contre une personne ayant un statut diplomatique, le Canada demande que l’État d’origine renonce à invoquer l’immunité diplomatique afin que l’affaire soit jugée au Canada», a indiqué par courriel le porte-parole Austin Jean.

Or, les pays étrangers acceptent très rarement de se plier à cette demande et que des accusations soient portées contre leurs diplomates, nuance M. De Kerckhove.

Dans des cas gravissimes, le Canada est prêt à aller jusqu’à l’expulsion du diplomate, a ajouté le porte-paro­le Austin Jean. Il a aussi rappelé «qu’une très forte majorité de la communauté diplomatique présente au Canada respecte les lois et les règlements.»


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